L’année qui s’achève a été placée sous le signe du Covid et de la récession. 2021 doit être celle d’un New Deal et de la reconstruction.
L’année 2020 restera dans l’histoire comme celle de la pandémie de Covid-19 et de la crise inouïe qu’elle a déclenchée. Elle s’inscrit dans la lignée des millésimes maudits du XXIe siècle : 2001 avec les attentats djihadistes aux États-Unis ; 2008 avec le krach de la mondialisation ; 2016 avec la déferlante populiste provoquée par le vote du Brexit et l’élection de Donald Trump.
L’épidémie a souligné l’immense fragilité des États, des sociétés et du système international. À l’exception d’une poignée de pays, les gouvernements n’ont pas réussi à maîtriser la propagation de la maladie, provoquant une crise de défiance envers les dirigeants. Surpris et dépassés, ils ont été contraints de recourir à des mesures de confinement qui ont provoqué une récession inédite. Les séquelles seront durables, qu’il s’agisse de la dégradation de la santé physique et mentale des individus, du basculement dans la pauvreté de pans entiers de la population, de l’explosion des inégalités, de la déscolarisation de dizaines de millions d’enfants, du surendettement des États – 137 % du PIB pour les pays développés – ou du recul de la liberté.
Mais des signes positifs sont aussi apparus avec l’accélération des usages du numérique, la découverte d’un vaccin en moins d’un an au terme d’une mobilisation scientifique sans précédent, la résilience de certaines démocraties telles la Corée du Sud, Taïwan, l’Allemagne, la Suisse ou la Nouvelle-Zélande, le réveil de l’Europe sur le plan économique avec son plan de relance de 750 milliards d’euros et sur le plan stratégique avec une série de sanctions contre la Turquie de Recep Tayyip Erdogan.
L’année 2021 se présente sous deux aspects que tout oppose. En dépit du lancement des campagnes de vaccination, sa première moitié sera très dure, toujours dominée par l’épidémie et marquée par l’envolée des faillites, du chômage et de la pauvreté. La seconde devrait être brillante, la levée des mesures sanitaires et la poursuite des plans de soutien provoquant un fort rebond. Ce tournant cristallisera les gagnants et les perdants parmi les continents, les nations, les entreprises et les individus. La ligne de clivage s’établira entre ceux qui demeureront englués dans la peur et le ressentiment, et ceux qui basculeront dans une dynamique d’espoir et de reconstruction.
L’année qui s’ouvre sera donc décisive. Elle doit être tournée vers la relance mais plus encore vers les réformes pour résoudre les problèmes que nous avons laissés s’accumuler. En s’inspirant de cette maxime de Göran Personn, Premier ministre social-démocrate qui modernisa le modèle suédois dans les années 1990 : « Il ne faut jamais laisser perdre la chance d’une grande crise ». La levée des mesures de confinement et de restriction d’activité aura un effet immédiat sur la production et l’emploi, avec un fort rebond du secteur des services, qui représente 70 à 80 % du PIB des pays développés. Simultanément devra être transformé le contrat économique et social autour de six priorités :
- L’organisation des entreprises et du travail autour de la réarticulation de la vie personnelle et professionnelle, d’une plus grande autonomie des salariés, d’un management moins hiérarchique et plus responsable ;
- Un partage plus équitable de la valeur ajoutée entre travail, capital et États ;
- La réduction de la dépendance à la Chine pour les biens essentiels ;
- La reconfiguration de l’industrie numérique autour du respect des citoyens et non de la spoliation de leurs données ;
- L’accélération de la transition écologique en s’appuyant sur la modification des modes de consommation provoquée par les confinements et par l’introduction d’un prix du carbone ;
- Enfin, la sortie progressive du capitalisme de bulles et de rente.
La chute de l’offre de travail, la paupérisation de la population, la montée des inégalités constituent un nouveau choc sur les classes moyennes qui va déstabiliser un peu plus les démocraties. Il est donc essentiel de désamorcer la spirale de la peur, de la colère et de la violence. En réengageant les citoyens dans les décisions publiques par la décentralisation. En investissant dans l’éducation. En mettant les technologies au service des politiques publiques. En confortant l’État de droit et en assurant la vitalité du débat public. En remobilisant les énergies au service du bien commun. En refondant enfin une grande alliance des démocraties entre États-Unis, Europe, Japon, Inde, Corée du Sud, Taïwan, Australie et Nouvelle-Zélande.
Le premier défi de Joe Biden sera de réunifier la nation américaine, qui n’a jamais été aussi divisée depuis la guerre de Sécession. Il lui faudra remettre en marche les contre-pouvoirs et réconcilier les citoyens, alors que Donald Trump a réuni 74 millions de voix et qu’il refuse d’admettre sa défaite. La flexibilité de l’économie permettra de retrouver le niveau d’activité dès le deuxième trimestre 2021. Mais cela ne suffira pas à retisser les fils de la nation ni à doter les États-Unis d’une stratégie apte à préserver leur leadership. Le temps n’est pas à une troisième présidence Obama mais à un New Deal pour le XXIe siècle.
L’Europe et la France se trouvent à un moment de vérité. Au terme d’une présidence allemande réussie, l’année 2021 devra être consacrée au déploiement rapide du plan de relance et à l’affirmation de l’Union sur le plan international avec la proposition d’un agenda transatlantique et la définition d’une stratégie de cantonnement des démocratures chinoise, russe et turque. Plus que jamais, la réorientation de l’Europe dépendra de la modernisation de la France, qui, avec un PIB amputé de 12 %, un chômage de 10 % de la population active et une dette de 120 % du PIB, se trouve au bord de l’effondrement. En 2021, cessons de dépenser quoi qu’il en coûte ; travaillons, innovons et reconstruisons à tout prix !
(Chronique parue dans Le Point du 17 décembre 2020)